Tout d’abord, la manchette de la Tribune de Genève annonçait que notre ville pourrait recevoir 10’000 réfugié–es ukrainien–nes. Quelques jours plus tard, il est question de 15’000 réfugié–es. Oui, Genève est en train d’assumer sa mission de ville refuge, enfin! Non seulement Genève, mais aussi la Suisse se profile comme terre d’asile, puisqu’il est question de recevoir jusqu’à 250’000 réfugié–es ukrainien–enes dans notre pays.
Ce nombre témoigne d’un grand geste de solidarité, et la qualité y est aussi, puisque des permis S seront immédiatement concédés, que le passage en centre fédéral pour requérant–e d’asile sera limité à quelques jours et que l’accueil qui leur est fait à l’OCPM (Office Cantonal de la Population et des Migrations) est bienveillant, selon le témoignage d’une personne présente dans les bureaux de cet office lors de l’arrivée d’un couple ukrainien. Cet accueil augure d’une intégration qui peut commencer immédiatement: scolarisation pour les enfants, travail pour les parents.
C’est vrai que nous recevons ces jours des réfugié–es qui sortent d’une guerre que nous pouvons tous suivre à la télévision, avec profusion d’images de bâtiments pilonnés, de personnes âgées, enceintes, malades et enfants qui se sauvent en passant des ponts improvisés et en escaladant les décombres. Et ces personnes nous ressemblent et vivent à quelques heures de chez nous. Impossible de rester de marbre ou d’écouter les interprétations de cette guerre: il faut tendre la main.
Mais alors… et toutes ces guerres que l’occident mène par procuration avec les bombes à Gaza? au Yémen? en Syrie? en Irak? au Kurdistan? en Afghanistan? Et la guerre sans bombe, mais la guerre quand même, en Erythrée et dans de nombreux pays d’Afrique où la vie est devenue une lutte contre la faim, contre la violence faite aux femmes et aux personnes LGBTQ+? On fait allusion ici à des problèmes socio–économiques tellement étendus et graves qu’ils sont devenus des problèmes non plus individuels, mais éminemment politiques qui touchent des populations elles aussi énormes et dévastées.
Certain–es réfugié–es nous déclarent leur stupéfaction face à la solidarité qui se manifeste pour les Ukrainien–nes.
Et nous, militant–es de l’asile dans le collectif Solidarité Tattes, nous nous posons aussi des questions:
–Pourquoi Mme M.U., âgée de plus de 50 ans, ressortissante d’un pays d’Afrique, qui a été soumise à la traite d’êtres humains pendant plus de 10 ans, ne reçoit–elle pas la protection de la Suisse?
–Pourquoi M. S.E., lui aussi africain, depuis 8 ans en Suisse, ayant vécu la catastrophe de l’incendie des Tattes en 2014 dont il est sorti gravement atteint dans sa santé, pourquoi ne peut–il toujours pas avoir un permis B?
–Pourquoi la Suisse renvoie–t–elle une famille avec 2 enfants en bas âge vers unpays aussi peu sûr que l’Irak?
–Etc., etc.
Et nous continuons de réfléchir:–Pourquoi les employés de l’OCPM sont–ils toujours tellement odieux avec les requérant–es qui se présentent à leurs guichets?
–Pourquoi le stationnement dans les Centre Fédéraux d’Asile (CFA) pour les réfugié–es non–ukrainien–nes dure–t–il non pas juste quelques jours, mais 140 jours, et parfois plus?
–Pourquoi laisse–t–on les jeunes débouté–es de l’asile croupir pendant des années avec l’aide d’urgence (dépendance totale des prestations de l’Hospice Général), même quand leur intégration est réussie?
–Etc., etc.
Y aurait–il un problème de couleur dans la solidarité? Une solidarité «blonde» qui nous montre ce qu’est la véritable solidarité, immédiate et bienveillante, et une solidarité«noire» qui n’est qu’un gouffre qui engloutit les vies, les jeunesses, les espoirs? Si l’on pratique la solidarité avec la population ukrainienne, alors on se sent content–e et «en accord avec les valeurs de notre société». Et si on pratique la solidarité avec ceux et celles qui nous ressemblent moins physiquement, mais qui rencontrent les mêmes problèmes que nous dans la vie, ou pire, alors pas de répit, pas de solution, pas de permis?
Inquiétantes, nos autorités, qui tendent la main d’un côté et repoussent de l’autre. En nous montrant ce que doit être la solidarité et combien les solutions sont à portée de main et de porte–monnaie, l’Etat suisse (fédéral et cantonal) se révèle et se pointe lui–même du doigt: il fait des différences entre les réfugié–es! L’un–e passe, l’autre pas!Alors qu’il pourrait être égalitaire et simplement conforme à la Convention de Genève de 1951. Alors la solidarité tout court, c’est pour quand?1
ST, mars 2022