Une conférence de presse a eu lieu le 1er novembre 2023 à Genève afin de dénoncer l’inhumanité des Renvois Dublin.
Des personnes concernées par ces renvois ont pris la parole à cette occasion. Solidarité Tattes s’est également exprimé à cette occasion.
Vous trouverez ci-dessous en vrac les prises des paroles et les témoignages ayant été exprimés à cette occasion.
Prise de parole de Solidarité Tattes et de la Coordination asile.ge:
Nous, collectifs de soutien et personnes concernées, sommes ici pour dire que les renvois vers la Croatie sont inacceptables. En juin 2023, nous avons écrit au Conseil d’Etat genevois pour demander une rencontre urgente afin de leur exposer la situation. Nous sommes toujours en attente de cette rencontre. En attendant, l’Office cantonal de la population continue d’augmenter la pression sur les personnes menacées de renvois. Et les personnes concernées vont de plus en plus mal!
Depuis plus d’une année maintenant, des collectifs de toute la Suisse dénoncent ces renvois, qui sont exécutés au mépris des droits humains des personnes. Les violences subies par les personnes migrantes sont innombrables, à la frontière comme à l’intérieur du pays. Les conditions d’accueil sont défaillantes. L’accès aux soins est souvent impossible. La Croatie n’est pas un pays sûr pour les réfugié·es.
Des rapports ont été publiés à ce sujet, notamment par l’association Solidarité sans frontières, qui s’est rendue sur place. L’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugié·es (l’OSAR) et la section suisse de Médecins du Monde recommandent de cesser immédiatement les renvois vers la Croatie.
En juin dernier, un greffier du Tribunal administratif fédéral a démissionné à la suite d’un arrêt de principe rendu concernant le renvoi de requérant·es d’asile en Croatie. Il parle de «cas de conscience» et de «nuits d’insomnie», avant de choisir de rendre son tablier par refus d’aller contre l’intérêt public.
La Suisse possède pourtant une marge de manœuvre légale pour ne pas effectuer les renvois des personnes vulnérables, mais elle ne l’utilise presque pas. Comme souvent, le Secrétariat d’Etat aux migrations reste sourd et aveugle aux situations de vulnérabilité des personnes concernées. Seules les statistiques comptent: renvoyer un maximum, ne pas entrer en matière sur le plus de demandes d’asile possibles, quel qu’en soit le prix (pour les personnes concernées).
Actuellement, une vingtaine de personnes et familles se trouvent à Genève et sont menacées de renvoi vers la Croatie. Nous allons leur laisser la parole pour raconter pourquoi ces renvois doivent cesser. Les témoignages que vous allez entendre sont l’illustration de ce que subissent tous les jours les personnes en exil en Croatie, mais aussi ici, en Suisse. Car les conséquences de la menace d’un renvoi qui plane pendant des semaines, des mois, voire plus d’un an, sont dramatiques pour la santé de beaucoup de personnes.
La machine à expulser est lancée et ne ralentit pas. La menace du renvoi plane et cette attente dans l’insécurité est la source d’une violence psychologique insupportable. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous demandons à pouvoir être reçu·es rapidement par le Conseil d’Etat et qu’il intervienne auprès des autorités à Berne pour exiger la fin des renvois. Avant qu’il ne soit trop tard. Avant le renvoi de trop.
Les renvois vers la Croatie doivent cesser !
Solidarité Tattes & la Coordination asile.ge
Témoignages
Violences à la frontière
« J’ai essayé d’entrer en Croatie le 13 septembre 2022. Mais la police croate nous a attrapés. On a subi un pushback très violent : ils nous ont fait monter dans leur voiture comme si on était des prisonniers et ils nous ont laissés dans une forêt, près d’une rivière. On était de nouveau en Bosnie ! Ils ont frappé les hommes de notre petit groupe. On a passé la nuit dans cette forêt, dans le froid et la peur.
Le 15 septembre 2022, on a essayé d’entrer encore une fois en Croatie et la police nous a attrapés de nouveau. On a dit qu’on voulait juste passer notre chemin. Alors ils nous ont emmenés, et cette fois-ci, c’était pour nous mettre dans une véritable prison. On est resté douze heures sans de l’eau à boire et sans nourriture, sans soins, sans médecin. Dans une seule chambre, on était plus de 25 personnes. Il y avait entre nous des bébés, des femmes enceintes, des personnes malades, dont moi-même qui étais enceinte de presque six mois. Je me suis évanouie une fois là-bas et à mon réveil, j’ai demandé si je pouvais avoir de l’eau, mais ils se sont moqués de moi.
Alors ici, en Suisse, quand on nous envoie la décision négative, on nous dit de retourner en Croatie. Comment les personnes qui m’ont repoussée pourrait maintenant me recevoir, alors que j’ai en plus un bébé ? Non, je n’y retournerai pas. La violence continue, ici et maintenant. Quand c’est que j’aurai la paix ? Le SEM s’en fiche des interviews, il ne m’a pas écoutée. »
Témoignage de Christa
Violences dans la Croatie
« Nous avons pris le train direction Zagreb. Mais avant l’arrivée, le train a stoppé en rase campagne, la police est montée et nous a interpellés. Je pense que c’est le contrôleur qui nous a dénoncés, même si on avait des tickets.
La police nous a demandé de sortir et de nous aligner. Ils nous ont alignés comme des malfrats, comme des criminels. Ils nous ont fouillés. Ils ont pris nos téléphones, on n’avait plus internet, on ne pouvait plus s’orienter. Ils ont pris notre argent, nos écouteurs, nos montres, nos chargeurs. Ils se disputaient entre eux nos objets de valeur : « Hier tu as eu ça, c’est pour moi aujourd’hui ! »
Ils nous ont fait monter dans leur fourgonnette grillagée aux vitres opaques. On était entassés comme des animaux. Ils roulaient très vite, ils freinaient brusquement, on se cognait les uns aux autres. On criait, on pleurait, certains se sont urinés dessus. On a roulé ainsi pendant environ 1h30. Et… on était de nouveau à la frontière avec la Bosnie.
Un à un, ils nous ont fait sortir. Et là, ils nous ont tabassés copieusement. Cela durait de longues minutes, il pouvait y avoir dix policiers sur toi, ils avaient des bagues de frappe. On entendait les cris de ceux qui se faisaient battre. Ensuite, ils leur disaient : « Go ! », et ils les repoussaient de l’autre côté de la frontière en Bosnie.
Mon ami Alain a été frappé, puis mon tour est arrivé. Je suis sorti, il faisait nuit noire, il n’y avait que leurs torches. J’ai vu un corps au sol et j’ai bientôt compris que c’était mon ami.
J’ai commencé à dire mes dernières prières. Ils ne contrôlaient pas où ils frappaient, j’étais comme un sac de boxe et c’était à qui taperait le plus fort. Les femmes étaient tapées aussi. Pas les enfants, mais les ados, oui. Ensuite, ils ont entrechoqué nos téléphones dans un sac avant de nous les rendre. Sans les cartes SIM. La plupart des téléphones étaient cassés.
J’ai vu que c’était mon ami qui était au sol. J’étais tellement traumatisé par la douleur que je ne comprenais plus. Je lui ai dit : « Alain, lève-toi, on part », mais il ne se levait pas. A plusieurs, on l’a amené de l’autre côté de la frontière. On n’arrivait pas à le réanimer. On lui faisait des massages cardiaques. Il avait la tête fendue et il saignait. Ça a duré jusqu’au petit matin.
Il était tout glacé, presque raide, sans pouls. On sentait bien qu’il était mort. J’ai pris une dernière photo de lui. Les policiers ont tiré en l’air en nous disant de dégager et c’est là que tout le monde s’est enfui. On a été obligés d’abandonner Alain. Quand on est arrivé ici, on a pensé que c’était enfin la justice, la démocratie.
La Suisse, elle sait très bien comment c’est, la Croatie. Ils nous ont entendus, on a tous dit les mêmes choses. Alors la Suisse est complice avec la Croatie. La Suisse paie la Croatie pour qu’elle reprenne des migrants, au lieu de parler des sanctions à prendre contre la Croatie. »
Témoignage de Merlin
« C’est quand la police croate nous a attrapés à la frontière que j’ai su qu’on arrivait de Bosnie. Ils étaient deux, je revois même leurs visages. Ils nous ont fait coucher au sol, ils ont confisqué les téléphones et ont commencé à nous battre avec des matraques, avec leurs fusils. Ils tiraient près de nous pour nous faire peur. Je passe ainsi une journée et une nuit sous la pluie, sans manger ni boire. Sous les coups, je perds connaissance deux fois.
Puis les familles sont séparées du groupe. J’ai trouvé une fille avec son petit frère, on a dit qu’on était ensemble. On nous emmène. J’ai réclamé mon « frère », et eux, ils ont recommencé à me frapper fort. En réalité, ce « frère » a subi un pushback. Moi, les policiers croates m’enferment dans les toilettes d’un poste de police. J’ai passé la nuit avec un policier pour me surveiller. Déjà deux jours sans manger ni boire. Quand j’ai perdu connaissance, ils m’ont apporté des bouts de pain qu’ils ont jetés sur le sol et qu’ils ont piétinés. Ils m’ont dit : « Take that, monkey ». J’ai dû boire l’eau des toilettes. J’étais épuisé, je me suis endormi. C’est là, vers quatre heures du matin, que le policier m’a violé.
J’ai raconté tout ça au SEM et je leur ai dit que s’ils voulaient me renvoyer là-bas, il fallait me donner un cercueil.
L’après-midi, on est venu me chercher pour prendre mes empreintes et me faire signer des papiers, mais je ne voulais pas. Tout était écrit en croate. Mais les policiers m’ont menacé, l’un d’eux a dégainé son revolver et m’a posé le canon sur la tempe. Ils m’ont dit : si tu ne signes pas, on t’éclate la tête. Alors j’ai signé.
Une fois dehors, je découvre que je suis à Zagreb. Je suis contrôlé et battu une nouvelle fois. Ensuite, j’arrive à passer en Slovénie, puis en Italie, puis en Suisse. Au Burundi, j’ai fait du bénévolat pour la Croix-Rouge, alors je connaissais Henry Dunant, Genève et sa tradition humanitaire. J’ai pensé qu’on me comprendrait.
Les violences, c’est aussi à Zagreb, pas seulement aux frontières. Il y a des violences dans le pays. En Croatie, on a échappé à la mort. Alors dire qu’on te renvoie en Croatie…, la Suisse te livre à la mort. »
Témoignage de Mandy
« Je suis arrivé en Serbie dans un camp en février 2022. Ma femme m’a rejoint en juillet avec notre enfant qui avait alors 6 mois. Nous voulions aller en Belgique, mais nous avons reçu des informations qui disaient que là-bas, on devait dormir dehors. C’était l’approche de l’hiver et je pensais que ce n’était pas possible pour mon enfant. Alors nous avons quitté la Serbie pour la Suisse.
Nous avons fait 4 tentatives pour passer de la Bosnie en Croatie. Chaque fois, il y avait un pushback, avec les menaces, les chiens et les tirs en l’air pour nous faire peur. Nous arrivions à la fin de notre argent, on pensait qu’on allait mourir de faim, alors on a décidé d’essayer encore d’entrer en Croatie, même avec les insultes et les coups.
Les policiers ont séparé les hommes des femmes, ils nous ont pris à part pour nous battre. Ils nous tapaient avec des matraques et ils nous insultaient. Ensuite on nous a mis dans des camions et on nous a conduits une nuit en prison, tous ensemble avec les femmes et les enfants. Sans couverture et sans matelas. Nous avons ôté nos vêtements pour couvrir notre enfant. Sans nourriture, même pas pour notre enfant.
Moi, je ne savais rien sur Dublin, mais on avait tellement peur qu’on a tout accepté : nous avons donné nos empreintes, nous avons pris le papier des 7 days. On nous a laissés devant une gare. On a demandé comment faire pour aller à Zagreb. Arrivés là-bas, on a contacté ceux qui avaient passé la frontière avant nous et ils nous ont dit comment faire pour arriver jusqu’en Suisse.
Avec ma femme, on a eu nos entretiens début décembre de 2022. Depuis ce moment, aucune nouvelle, jamais ! J’ai réussi à savoir que notre demande avait été refusée et que la juriste de Boudry avait fait recours. Mais je n’ai jamais pu lire un papier officiel concernant notre situation. Je ne sais pas quand se termine notre Dublin, je crois que c’est fin octobre selon mes calculs, mais rien n’est sûr.
J’ai besoin de vivre dans un lieu sûr, la Croatie ne me semble pas sûre. On ne peut pas vivre en paix dans un pays raciste, un pays qui dit nous haïr. Je n’oserais jamais rien y demander, ils me font trop peur. »
Témoignage de Joseph
Impacts psychologiques
« C’était l’hiver, il y avait de la neige. On a passé deux semaines dans la forêt, 2 semaines ! Et c’était pas à la frontière, c’était à 40 km de la frontière, c’était dans la Croatie. Là-bas, c’était horrible. Même avec des bonnes conditions, on ne peut pas retourner dans un endroit où on a été tellement traumatisés. On a eu peur des policiers. Et maintenant, j’ai toujours peur des policiers, même ici en Suisse.
Pourtant on leur avait dit qu’on ne voulait pas demander l’asile chez eux. On n’a pas voulu demander l’asile. La police nous disait qu’il fallait juste leur donner nos empreintes, c’est tout. Et maintenant, comment je vais demander l’asile à un pays qui m’a violentée ? Alors pourquoi en Suisse il y a des interviews, quand ils connaissent d’avance la réponse ? C’est vraiment du temps perdu.
Ici, il faut tomber dans une grave crise pour avoir accès à un psychologue ou un psychiatre. Quand on va mal, on nous répond : il n’y a pas de place chez le psychologue, mais votre malaise, il va passer avec le temps. En Suisse, j’ai vu beaucoup de fous. Tu peux devenir fou. On est arrivé comme intellectuels, mais on te tue, tu peux devenir fou. La Suisse veut des fous ! Il faut devenir fou pour avoir l’asile. »
Témoignage d’Audrey
Dublin et la maternité
La personne qui nous a livré le témoignage précédent est une jeune mère qui a appris il y a quelques jours le refus de sa requête d’asile et la décision de renvoi vers la Croatie selon les accords de Dublin. Quelques heures plus tard, elle a accouché prématurément, très prématurément. Difficile de ne pas voir un lien entre la nouvelle hyper-stressante et la naissance prématurée.
Une autre personne, mère d’un enfant de moins d’une année, est, elle aussi, sous le coup d’une menace d’expulsion Dublin vers la Croatie. A l’école des sages-femmes, on nous enseigne l’importance de la sécurité et de la sérénité pour l’installation du lien mère-enfant durant les suites de couches. Mais cette évidence semble être valide seulement pour certaines femmes, et pas pour les femmes requérantes d’asile.
Alors stop la discrimination, stop les renvois Dublin!
Viviane Luisier, sage-femme
En Suisse, un autre genre de violences
« J’avais contourné Zagreb, j’avais traversé toute la Croatie, je n’avais jamais donné mes empreintes pendant ce parcours. Quand j’étais en train de sortir de la Croatie pour la Slovénie, la police m’a emmené à Zagreb et j’ai reçu la feuille des « 7 days ». Et après, je suis allé en Slovénie, et je suis arrivé jusqu’en Suisse.
Et un jour, quand j’étais déjà à Genève, on me téléphone : tu as Dublin. Mais je n’avais jamais laissé mes empreintes nulle part. Le texte, je l’ai eu par WA. Puis la juriste de Caritas a fait recours, sans me le dire. Elle a fait un second recours, toujours négatif. Je n’ai jamais rencontré d’avocat. Pour mon audition, l’avocate n’a pas pu venir, elle a envoyé un stagiaire. Mais c’est moi qui me suis défendu tout seul. Ensuite, le stagiaire m’a félicité, il m’a dit que j’avais bien parlé.
Alors les juristes et les avocats, ils sont là pour nous aider ou pour nous enfoncer ? Tous ces gens sont là pour nous contrôler.
Et bien sûr, on est privé de travail, on nous nourrit comme des souris. Alors les Suisses, c’est normal qu’ils ne veuillent pas de nous.
C’est pour toutes ces raisons que nous avons demandé une rencontre au Conseil d’Etat de Genève il y a plus de 2 mois, mais il ne nous a toujours pas répondu. Nous voulons cette rencontre ! »
Témoignage de Jean-Paul